Cours de danse Danser la Vie - Toulouse

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● Quel drôle de Jugement !

Quel drôle de Jugement !
par Marc DELACOUR
Le Bulletin Fédéral FFD n° 30 (01/07/1998)

 

Combien de fois peut-on entendre cette phrase ! Une habitude constante est de critiquer les jugements pour se consoler d'une mauvaise performance. Par contre quand la place obtenue est bonne, alors les juges sont supers.

II est vrai que pour certains couples, notamment pour les séries 5 et 4, les résultats peuvent varier du tout au tout, et cela d'une semaine sur l'autre. On entend souvent : "Je ne comprends pas, la semaine dernière nous gagnons la compétition, et aujourd'hui nous ne passons pas un tour, il y a quelque chose qui ne va pas !" Beaucoup y perdent leur latin, se démotivent et cessent la compétition en répandant que la danse n'est pas quelque chose de sérieux, que les jugements sont fantaisistes voire partisans.

Et cela ne concerne pas seulement les couples des séries inférieures. J'ai pu constater lors des derniers championnats de France Standards de CERGY que quelques professionnels et non des moindres 'jugeaient" les classements de la finale adulte pour le moins surprenants. Nous y reviendrons plus tard.

Qu'en est-il réellement ? Y a t-il une logique quelque part ! Certes je ne revendique pas posséder la réponse miracle, mais mon expérience de juge et les innombrables conversations que j'ai pu entretenir avec des juges, des entraîneurs, des couples et même des personnes n'ayant aucune connaissance de la danse, que l'on appelle communément le public, m'ont permis de nie faire une idée sur la question.

Revenons aux séries les plus débutantes que sont les 5ème, 4ème et 3ème série (débutantes en libre). Contrairement à ce que croient beaucoup de personnes, ces séries sont les plus difficiles à juger. En effet très souvent on ne retient pas les meilleurs, mais les moins mauvais. Cette façon de parler peut paraître choquante et prétentieuse. Ce point mérite de plus amples explications.

Comme chacun sait, l'IDSF a mis des critères de jugement qui sont la musique, le travail de pied, les lignes de corps, l'interprétation rythmique et le mouvement. La musique, seul critère objectif vient en priorité. Si un couple ne danse pas en musique il est d'office non sélectionné pour le prochain tour, ou classé dernier s'il s'agit de la finale. Cela est facilement compris des couples. Ensuite tous les autres critères sont appréciés par le juge qui choisit celui ou ceux qu'il estime prédominants. A ce stade la subjectivité du juge entre en ligne de compte. Tentons d'analyser cette fameuse subjectivité du juge.

Le travail de juge comprend deux étapes principales. Tout d'abord il doit analyser Des les points positifs et négatifs couples. Pour cela, il est nécessaire qu'il connaisse la danse, à travers la technique, l'interprétation des danses, et pour les séries supérieures, des critères non codifiés que sont le charisme et autres. On peut dire que cette étape est relativement objective.
Une fois son inventaire fait, la seconde étape consiste à classer les couples. A ce stade, la subjectivité est prédominante, car il doit sélectionner les critères qu'il retient en fonction d'appréciations personnelles. C'est là qu'intervient la difficulté.

Tous les juges français hormis peut-être un juge amateur enseignent la danse. Ils ont donc une certaine idée de la danse et de la progression d'un couple. Pour tel professeur, un couple doit commencer par avoir une bonne tenue, ensuite il s'attachera au travail de pied, puis poursuivra avec la musique. Pour tel autre, an contraire, il commencera par le travail de pied, enchaînera avec la musique, puis poursuivra avec le mouvement Un troisième préférera l'interprétation musicale en premier lien, puis s'attachera aux lignes de corps et continuera avec le travail de pieds. Et ainsi de suite...

Pour arriver au même but, chaque professeur aura une progression qui lui est propre. Il n'a pas plus raison qu'un autre professeur, mais pas plus tort non plus. Ceci permet de déduire une première conclusion : Un juge qui enseigne est déjà influencé par sa propre façon d'enseigner. Chaque professeur ayant une progression qui lui est propre, aura donc tendance à privilégier tel ou tel critère en tant que juge. Peut-on le leur reprocher ? Je ne le pense pas.

Ainsi, lorsqu'un juge verra des couples respecter ses principes de base, il aura tendance à bien les noter. Ceci explique souvent pourquoi des professeurs notent difficilement leurs élèves. Juger ses propres couples, et à plus fortes raisons ses propres enfants n'est pas évident. Les élèves du juge respectent les critères qui semblent essentiels à l'enseignant et donc inconsciemment au juge qui se veut impartial.

Voyons à présent le couple. Par définition, les couples débutants ne maîtrisent pas l'intégralité des composantes de la danse, et notamment des cinq critères sus-énoncés. En conséquence, ils seront corrects dans certains domaines de la danse et moins bons dans d'autres. Prenons un couple qui a une belle tenue et qui se déplace bien, mais possède un mauvais travail de pied. Il sera bien classé si les juges en présence privilégient majoritairement ces critères, mais mal noté la semaine suivante en présence de juges préférant l'interprétation musicale et le travail de pieds. Mais que les couples ne se découragent pas. A force de travail et de répétition, tous les critères sont travaillés, acquis puis améliorés. Alors quels que soient les juges sur la piste, vous obtenez la place qui vous revient, car vous répondez à toutes les conditions.

D'autres événements peuvent s'immiscer dans un jugement. Un couple peut parfaitement débuter une danse avec brio, et, par manque de concentration, d'endurance ou tout autre raison, la poursuivre d'une façon méconnaissable.

Un juge qui a remarqué ce couple au début, établit son classement pour les deux ou trois premières places, puis a concentré son attention sur les autres couples à classer. Un autre juge qui aura regardé d'autres couples au début et qui finira avec ce couple, aura bien sûr une opinion totalement différente de notre premier juge.

Pour illustrer ce point de vue, et bien que nous parlons des séries débutantes, je relate un fait qui s'est produit avec un couple Adulte 1. Il m'est arrivé de classer un couple quatrième dans une danse alors que la logique voulait qu'il soit premier. D'ailleurs les autres juges le mettaient premier. Ce couple est venu me voir et m'a demandé pourquoi je l'avais classé de la sorte contrairement aux autres juges ? Je lui répondis que je l'avais regardé trois fois, et qu'à chaque fois, il s'était arrêté sans raison apparente, ce qu'il me concéda Les autres juges ne l'avaient pas vu puisque occupés avec d'autres couples. Je lui indiquai qu'en adultes 1, ce genre d'écart me paraissait dommageable. Ce couple approuva mon opinion en me disant : "Effectivement si vous nous regardez au moment où cela ne va pas, je comprends votre position". N'oublions pas qu'un juge regarde un couple en moyenne entre 8 et 15 secondes en fonction des passages. Pour peu que l'on tombe au mauvais moment ! C’est une leçon à retenir. Une danse dure entre une et deux minutes. Les couples ne savent jamais quand un juge les regarde. Ils doivent donc être performants pendant toute la durée de la danse.

Ce n'est pas par hasard que les jurys sont composés de plusieurs personnes et non d'une seule. Bien sûr, l'idéal serait que les jurys soient composés de juges ayant des critères prédominants différents. Mais mettre cela en pratique est loin d'être évident.

Voyons à présent les compétitions des séries supérieures, et prenons l'exemple du championnat de France standard de CERGY. Certains juges ont gagné Blackpool, d'autres jugent des championnats du plus haut niveau mondial. Ils sont tous habitués aux couples de très hauts niveaux. Si l'on analyse les marques, on s'aperçoit que hormis les Adultes, toutes les autres compétitions font apparaître que les juges sont sur la même longueur d'onde. Alors que s'est-il passé en Adultes. Chaque couple avait des places de 1 à 6 ! Doit-on crier systématiquement au scandale ? Je ne crois pas. Au contraire, je pense qu'il faut tirer des conclusions positives sur cet état de fait.

Si l'on regarde les éliminatoires, ainsi que les 1/8 et 1/4 de finale, on s'aperçoit que les juges sont unanimes pour les 12 demi-finalistes. Ce qui était de bon augure pour la suite des événements. Puis patatrac. En demi-finale, les juges ne sont plus d'accords. Les croix sont inégalement réparties. En en finale, on peut croire dans un premier temps à une mascarade, avec des avis totalement disparates. A tel point que l'on a dû attendre la proclamation des résultats pour connaître le classement bien que les notes aient été levées. Tous les couples avaient leur chance. On a pu voir également que certains couples ont monté au fil des danses dans l'opinion des juges pour décrocher un podium au classement général alors que les premières danses ne leur étaient pas favorables. Je rappelle que les notes étaient levées à la fin des cinq danses.

Que s'est-il passé dans l'esprit des juges? Ils m'ont tous dit que jusqu'en demi-finale, c'était facile. Les couples se détachaient bien. En demi-finale, cela devenait plus compliqué car huit couples méritaient la finale. Quant à la fameuse finale, que c'était difficile ! De plus, à ce niveau de compétition, les critères de l'IDSF ne sont plus suffisants, il y a le charisme, la présence, l'assurance, la difficulté chorégraphique qui entrent en ligne de compte entre autres composantes.

Tous les couples avaient du bon et du moins bon. Tous avaient un avantage appréciable et un point négatif par rapport aux autres. Pour un couple, le travail de pied et le déplacement étaient les points forts, mais il paraissait manquer d'assurance, d'expérience. Pour un autre, le travail de pied de la danseuse était particulièrement moyen, mais c'est le couple qui avait la meilleure position, celui qui dansait, qui n'avait aucune pression, il y avait un contact permanent entre les partenaires. Il y croyait, et cela ce voyait, il attirait le regard. Un autre couple présentait une danseuse magnifique avec un travail de pieds et de dos superbe, mais le danseur avait les pieds fragiles et une position approximative. Un autre dansait moins à l'aise que lors des tours précédents, tant il avait de la pression sur les épaules. Sa position était bonne, mais le déplacement plus défaillant. On eut préféré plus de légèreté, plus d'entrain. Et on peut continuer comme cela. Mais il fallait les départager, et aucun couple n'était largement au-dessus des autres. Alors les juges ont fait appel à ce qui leur paraissait le plus juste, au vue de leur expérience, leur sensibilité, leur façon d'approcher la danse. Et chacun ayant eu un vécu différent, il était normal que les jugements soient aussi disparates.

Doit-on les montrer du doigt ? Non, je ne crois pas. Au contraire. Ils ont démontré que juger n'est pas quelque chose de facile, même pour les meilleurs et les plus rodés à cette épreuve. Que tout jugement humain est caution à la critique. Les juges acceptent cet état de fait et savent qu'ils risquent d'être décriés. Un couple doit accepter les règles du jeu ou ne pas participer aux compétitions. Personne n'oblige quiconque à monter sur une piste.

Danser en compétition, c'est accepter les règles du jeu, et donc les jugements quels qu'ils soient. J'entends souvent dire de telle ou telle personne, entraîneur, parent, public, couple, "Le classement n'est pas normal, c'est untel qui aurait dû gagner". Ceci me choque toujours. Pourquoi la personne qui dit cela aurait-elle raison ? Pourquoi son avis serait-il meilleur que celui des juges ? Ce n'est pas à elle que l'on a demandé de juger. Critiquer des jugements c'est porter un jugement personnel. Je considère qu'il faut respecter le jugement d'autrui. Nous avons vu que la tâche de juge n'est pas facile. Beaucoup de paramètres interviennent. Le juge porte un avis circonstancié par rapport à des critères établis et d'autres subjectifs. Je ne vois pas pourquoi une personne, quelles que soient son expérience et sa compétence puisse se permettre de critiquer un jugement. Ceci est malheureusement une mentalité bien établie. Certains entraîneurs le font pour se justifier vis à vis de leurs élèves, d'autres pour dénigrer systématiquement telle ou telle personne, d'autres par dépit ou par déception. Les parents sont déçus du résultat parce qu'ils estiment que leur progéniture aurait dû gagner et haut la main. Mais ces parents, entraîneurs, ou couples ont-ils vu la compétition de la même façon ? Trop souvent, on ne regarde que son couple, à l'exclusion des autres, on lui trouve tous les éléments positifs et on ne retient des autres couples que ceux négatifs. Parce que son couple a bien dansé, et même mieux que d'habitude, il doit gagner. Le juge, lui, regarde tout le monde d'un œil différent.

Je pense qu'il est dans l'intérêt de la danse que les entraîneurs "éduquent" leurs élèves, mais aussi les parents d'enfants compétiteurs. Chacun doit accepter les jugements même si parfois les résultats leur semblent injustes. Cela ne l'est pas pour les juges. En tout cas pour cette compétition là. Chacun peut avoir son opinion, mais quel que soit son niveau de compétence ou sa notoriété, personne ne peut se permettre de dénigrer l'avis d'une autre personne. Chaque couple doit savoir qu'il n'est pas le seul à s'entraîner, et que tous les autres couples passent autant de temps qu'eux, et nourrissent les mêmes espoirs. Chacun doit savoir se remettre en question, qu'il soit couple ou entraîneur.

Il y a quelques années, j'ai lu une réflexion merveilleuse de Bruno Petit lors d'un compte rendu de championnat du Monde auquel il avait participé avec Corinne. Ils n'avaient pas atteint le stade qu'ils envisageaient. Plutôt que de dénigrer la piste, les juges, l'organisateur ou tout autre démon, il a simplement écrit : "Nous allons travailler pour mériter des juges un tour de plus".

A méditer...

 

 



21/08/2013

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