Cours de danse Danser la Vie - Toulouse

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● L'Angleterre, une réalité

L'Angleterre, une réalité
par Dominique CRAND
Danse Sportive Magazine n° 2 (01/11/1983)

 

II y a, dans le monde de la danse comme dans la vie, presque autant de vérités que de personnages. Parallèlement, il y a des sujets dans lesquels, comme par le fait d'une entente préalable, toutes les idées semblent se retrouver. II en est ainsi de l'image de l'Angleterre, et de la supériorité qu'elle affiche en matière de danse, à propos de laquelle on ne s'interroge guère, et que l'on accepte comme une fatalité, comme un dû.

Nombreux sont les danseurs qui espèrent, souvent en secret, aller un jour en Angleterre, que ce soit pour prendre des leçons ou pour participer à une compétition. Ce pays constitue en effet, pour la majorité des Français, une attraction majeure, ses compétitions, ses professeurs, son atmosphère, et ses couples étant, bien sûr, les meilleurs... Comme s'il y avait là-bas un effet de jouvence, ou l'ionisation d'une science infuse.

Pourtant, déjà les petits inconvénients de la vie anglaise, comme la cuisine – bien connue ! –, le confort, encore tout imprégné de l'époque victorienne (pas de douches, fréquemment pas de chauffage dans les chambres d'hôtes), les problèmes de déplacement (capitale tentaculaire, circulation surchargée à toute heure, transports en commun peu pratiques), n'incitent guère à s'éterniser là, particulièrement quand on pratique les très prenantes occupations en rapport avec la compétition. Mais l'espoir d'y saisir le meilleur de la danse vaut bien quelques marathons !

On a toujours dansé en Angleterre. Au début du siècle déjà, on y exécutait, lors de concours, des danses différentes de celles que nous connaissons, qui s'apparentaient à nos "Standards", et où la grâce, l'élégance et le sentiment mettaient en évidence des personnalités très riches.
La danse se pratiquait alors en vase clos, en Angleterre comme dans quelques autres pays. Un de ceux-là était la France, où M. Camille De Rhynal jeta les premières bases d'une organisation internationale, en fondant la F.I.D. (Fédération Internationale de Danse).

Dans les décennies qui suivirent, les rares couples étrangers qui purent danser en Angleterre (les déplace¬ments étaient difficiles...) s'y montrèrent plus d'une fois supérieurs aux Anglais eux-mêmes, les maîtres d'alors. Ainsi Trantz (Allemagne), Kaiser (Suisse), Petersen (Dane¬mark), Borel (Hollande) et d'autres furent-ils à l'origine de la progression de la danse dans leurs pays respectifs.

Ce n'est déjà plus de l'histoire ancienne! En 1961 encore, huit pays seulement furent représentés à Blackpool', dont trois étaient du Commonwealth. A ce moment-là, l'arrivée des danses latines n'était guère appréciée des Anglais : c'étaient des nouveautés, et les grands cham¬pions en étaient continentaux! (parmi eux, 5 fois Champions d'Europe, et Champions du Monde en 1960, M. et Mme Ronnaux, des professionnels français). Les Anglais vinrent par la suite apprendre les latines sur le continent, fréquemment en France ; les ramenant dans leur pays, ils les organisèrent, les structurèrent, comme ils avaient déjà codifié les "Standards"des années auparavant. Le travail une fois fait, les pays originaux ayant connu des fortunes diverses, l'Angleterre fit peu à peu figure de référence dans les deux disciplines.

A présent, elle ne peut plus prétendre à la place de leader intouchable au plan mondial, depuis que la danse a pris son essor dans de nombreux pays, et que des individualités (comme Salberg, Champion du Monde, qui entraîna la Norvège vers un développement bien compris) se sont imposées en nombre dans les classements. Si l'on recense les 24 meilleurs couples de chacun des championnats de Blackpool, on s'aperçoit que d'année en année, la suprématie anglaise a perdu du terrain. Japonais, Canadiens, Norvégiens, Australiens, Belges, affirment maintenant leur place au plus haut de l'édifice, en Latines, mais aussi en Standard.

On peut aujourd'hui dire que l'Angleterre dominante n'est plus qu'un symbole, que brandissent de petits pays, tels que la France... Ce qui, loin de présenter pour eux des avantages ou de leur attirer des compassions, est la mise en évidence d'un intérêt mal compris.

L'organisation de la danse en Angleterre est fondamentalement différente de ce que nous connaissons. Elle impose peu de dépendances, et privilégie les échanges. On est là-bas un individu, non pas le représentant d'un club; on travaille avec qui l'on veut, les professionnels n'ayant d'autre échange avec les couples que les leçons elles-mêmes; on s'entraîne où l'on veut, les studios étant ouverts à tour de rôle aux danseurs, qui y pratiquent en nombre, moyennant un droit d'entrée modique. On comprend qu'il soit facile à un non-anglais de se fondre dans ce milieu, d'en partager les activités.

Par contre, cette politique, en particulier le système d'entraînement – qui est un aspect très positif de l'arsenal anglais, tant on s'enrichit au contact des autres – est à l'origine du surentraînement constant de la majorité des couples, ce qui change quelque peu la nature de leurs prestations, la danse n'étant pas qu'une répétition, ou un acte purement sportif.

On peut d'ailleurs, considérant le nombre de licenciés anglais (environ 700.000), s'interroger sur l'efficacité d'une telle organisation, quand on en compare les résultats à ceux de pays très inférieurs en nombre, et dont la progression est étonnante. L'affluence anglaise pousse même à se demander dans quelle mesure l'approche de la danse ne comporte pas pour certains quelque motivation de promotion sociale, que l'on connaît bien dans d'autres sports.

Les médias sont en Angleterre relativement attentifs à la danse, et la télévision présente à de grandes occasions. Malheureusement, – est-ce une conséquence directe ? – le public assiste peu aux compétitions, à tel point que les compétiteurs eux-mêmes doivent payer leur entrée pour se produire !

Au plus haut niveau, le travail des couples, qui conditionne leur ascension, prend l'aspect d'une véritable course à l'armement. Pour rester dans le coup et être au fait de l'évolution, certains couples étrangers s'installent pour quelque temps à Londres, où ils forment le cœur de la bataille internationale, redorant du même coup le blason des plus grandes compétitions mondiales (Blackpool, l'International, le Star...), qui sont un monopole anglais. Ces compétitions, survivance de traditions anciennes, ne seraient plus, sans une large participation étrangère, que de banales organisations, maintenues par habitude.

Les contacts qui s'établissent en Angleterre entre couples de divers pays participent à la progression du niveau mondial. Mais ce que l'on a tendance à oublier, c'est que parmi les plus éminents professeurs enseignant en Angleterre se trouvent de nombreuses personnalités étrangères, très demandées des compétiteurs, et qui grandissent encore l'image qu'on se fait de la domination anglaise !

De plus, l'Angleterre étant à l'origine de la réglementation de la danse, elle a élaboré les principaux diplômes d'enseignement' qui contribuent à répandre son image dans le monde entier.

Le très célèbre et respecté "Dance News", le plus grand journal de danse - et de loin - est bien le reflet de la pratique anglaise. Il peut satisfaire, pour information, les clubs ou organisations, même étrangers, mais garde un aspect de revue locale, sans ouverture. On y trouve plus d'annonces, de potins et de compte-rendus de compétitions sans importance que d'idées exprimées, d'informations, de perspectives. Sa position étant essentiellement passive, on ne peut voir en lui un bâtisseur ou un porte-parole de la danse. Il ne déteste pas, de plus, se mêler au jeu politique, on peut même promouvoir un couple inconnu en y envoyant une photo commentée qui sera publiée.

Au travers de toutes ces considérations, on s'aperçoit que la danse revêt en Angleterre des aspects très différents, voir même opposés. Dominante aux temps héroïques, elle est de plus en plus dominée, au fur et à mesure que les occasions de confrontations se multiplient, et que le niveau progresse.

Elle a certes su organiser et tirer parti de ses acquis, mais elle est peu intéressée par l'expérimentation de nouvelles idées, la recherche et la création artistique n'étant pas son propos. Il existe heureusement des individualités qui ont cette préoccupation.

C'est certes en Angleterre que la danse s'est constituée le visage qu'elle a actuellement, on peut dire principalement par le fait d'une présence internationale nombreuse. Il n'est pas jusqu'à la mode, qu'on suppose anglaise, et qui ne fait que tran¬siter par ce pays, étant créée le plus souvent en Norvège, en Allemagne...

Pays tirant parti de son ancienneté dans la spécialité, pays largement ouvert... Voilà l'explication d'un tel impact. Mais est-il bien raisonnable de lui vouer pour autant une admiration sans borne ? Vouloir le suivre, c'est nier son originalité, c'est aller, on l'a vu, dans une direction qui n'est pas exempte de gros inconvénients, c'est aussi dépendre de quelqu'un.

Comme l'a fait l'Angleterre à l'arrivée des danses latines, nous devons ne voir en elle que ce qu'elle peut nous apporter, que ce qu'on peut y pren¬dre, la considérant comme un moyen. Et laisser la chance à notre pays de fabriquer sa propre image, ce qui est un programme bien plus passionnant que la dépendance.

Ces dernières années, des compétiteurs (Barsi, Germain, Aufrère) sont sortis du ghetto à la force du poignet. Mais ils étaient seuls...

Souhaitons que chacun laisse un peu de côté le prestige de l'Angleterre, qui s'exprime d'une façon systématique et abusive. Ceci peut aider la France à trouver sa personnalité, sans vexation ni complexe. On le sait, la volonté rend possible la réussite...

 

 



21/08/2013

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